[TEST] Death Stranding : L’œuvre qui divise
Death Stranding était attendu comme un détour immanquable pour de nombreux joueurs. Sorti le 9 novembre, il s’agit de la dernière création d’Hideo Kojima. Connu pour avoir lancé la saga Metal Gear Solid, le créateur est vu par certains comme un visionnaire, marquant le jeu vidéo de son empreinte. Si Death Stranding était tant attendu, c’est à cause de l’effet surprenant de la démo jouable P.T. Cette démonstration mettait au cœur de son intrigue l’acteur connu de The Walking Dead, Norman Reedus, dans la ville terrifiante de Silent Hill. L’ambiance, les décors et les monstres semblaient tout droit sortis de l’imagination du réalisateur Guillermo del Toro (Le Labyrinthe de Pan). Annulé par Konami au dernier moment, Death Stranding était vu comme la réincarnation et la forme définitive du titre. Mais il semble que le jeu d’horreur ait pris une toute autre tournure.
Plus orienté vers la science-fiction, Death Stranding apporte un nouvel édifice à l’inconnu cosmique. Après Interstellar au cinéma, c’est à son tour d’apporter des réponses aux mystères du réel. Exit les voyages dans le temps et les trous noirs, place à la mort qui descend sur Terre. Toujours avec Norman Reedus en tête d’affiche, ce dernier est désormais accompagné d’autres protagonistes comme Guillermo del Toro lui-même, la star française Léa Seydoux, le doubleur de renom Troy Baker, l’acteur Mads Mikkelsen et le réalisateur Nicolas Winding Refn. Ce cocktail détonant se donne rendez-vous dans cette épopée mystique. Mais de grands noms suffisent-ils à faire de grandes œuvres ? Autrefois acclamé et attendu grâce à une démo jouable, le titre Death Stranding ne s’est laissé entrevoir qu’à travers des bandes-annonces énigmatiques, délaissant une partie non négligeable d’un jeu : son gameplay. À peine évoqué en interview, le jeu semble garder tous ses secrets jusqu’à sa sortie. Plongés dans un titre encore inconnu, nous vous livrons notre expérience de ce voyage.
Quand le monde du cinéma rencontre le monde du jeux vidéo
Nous ne pouvons pas vous étayer notre voyage sans évoquer d’abord le fil conducteur de ce titre : l’histoire. Vous incarnez Sam Porter Bridges, sous les traits de Norman Reedus. Sam est l’un des seuls livreurs à parcourir l’Amérique depuis que le monde a été frappé par une attaque inconnue. Cachée et en sécurité dans des abris souterrains, l’humanité ne peut plus vivre à l’extérieur. Les morts ont conquis la surface. Invisibles à l’œil nu, comme dans Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit, les morts emportent quiconque les perturbe. Et si vous avez le malheur de mourir, le corps humain se nécrose et explose, décimant toutes vies aux alentours sur des kilomètres à la ronde. Comme vous pouvez le constater, les règles sur Terre ont changé, et ce n’est là qu’une partie que j’énonce volontairement pour ne pas vous spoiler. Seuls quelques chanceux peuvent s’y risquer. Sam est non seulement un livreur, mais surtout un rapatrié : c’est-à-dire qu’il a la capacité de ne pas mourir définitivement, et de revenir à la vie dans son corps après quelques heures. Une qualité non négligeable pour aider à faire survivre les milliers d’humains en détresse sous terre. Voilà les bases de l’intrigue de Death Stranding. C’est une vision inédite et osée de l’univers que nous vous laissons explorer. Mais sachez que l’intrigue, bien que crédible malgré tous ces éléments épars, reste malheureusement prévisible. Cette ouverture est visible à travers de nombreux indices beaucoup trop évidents, bien qu’ils ne soient qu’effleurés dans cette narration étriquée.
Et ce ne sont pas que les éléments scénaristiques qui paraissent grossiers, mais aussi d’autres références. Beaucoup de références commerciales, comme Monster Energy, des émissions de télé ou autres, font l’objet de promotions maladroites dans un monde censé être désolé. Les clins d’œil à la saga Metal Gear sont légion et multiplient les appels du pied aux fans. Ces éléments créent une distance qui, par moments, écarte le joueur de la narration. Néanmoins, la mise en scène des cinématiques est exemplaire. De nombreuses scènes vous donneront des frissons et, à la manière d’une bonne série, chaque chapitre vous tient en haleine avec son lot de réponses et de mystères. C’est à se demander si plus d’efforts ont été consacrés à la narration qu’au gameplay. Puisque en sortant de Death Stranding, on a davantage la sensation d’avoir parcouru un film linéaire qu’un jeu. Les souvenirs des cinématiques tendent à rester en mémoire, au détriment du gameplay.
Un gameplay prétexte ?
Pour faire court, Death Stranding est, comme certains aiment le résumer, un FedEx Simulator. Le terme « FedEx » a été instauré par les joueurs pour décrire les missions demandant au personnage d’amener un objet d’un point A à un point B. Si vous vous demandez si votre rôle dans Death Stranding se limite à être livreur, eh bien oui. Et si l’on ajoute à cela que le titre a eu la « bonne » idée d’inclure le fait que votre personnage ne peut pas réellement mourir, alors toute tension est désamorcée.
Mais ne partez pas, car Sam Porter n’est pas qu’un simple livreur. Il vous faut parfois user de discrétion pour infiltrer des camps de rebelles Mules ou encore esquiver des zones jonchées de morts. Les Mules sont des rebelles humains dont l’objectif est de vous voler vos marchandises par tous les moyens. Il est possible de les fuir ou de les combattre avec des armes ou à mains nues s’ils vous attrapent. Quant aux morts, c’est grâce à un détecteur que vous pourrez voir et distinguer les entités invisibles qui vous entourent.
Rappelant les phases d’infiltration de Metal Gear, Death Stranding crée ici un nouveau style d’infiltration qui fait aussi écho au survival-horror. Dès que les morts apparaissent, le jeu laisse place à la grisaille et à la pluie, comme dans Silent Hill. L’atmosphère se crispe sous une musique étouffante. Mais s’ils vous attrapent, vous ne pourrez que fuir. Le monde des morts s’entremêle à celui des vivants dans une substance huileuse noire, ralentissant chacun de vos pas. Une horde de morts vous agrippe au sol pour vous faire basculer, tandis que des décombres et une entité sont recrachés des ténèbres. Bâtiments, voitures et routes vous entourent, venant remplacer les décors précédemment désolés. Vous pouvez vous aider de ces éléments pour marcher plus vite et vous libérer des griffes des damnés.
Toutes ces phases d’infiltration sont impressionnantes, mais vite désamorcées au fil de l’aventure. L’apparition de véhicules, d’armes ou de prothèses pour Sam vous permet de fuir rapidement ces zones de danger, qui ne le seront bientôt plus. Mais ces accessoires et véhicules ne pourront vous sauver si vous n’êtes pas bien préparé.
Avant chaque mission, vous avez la possibilité d’élaborer votre plan de marche grâce à la carte et de concevoir vos accessoires. Les différents environnements proposés par Death Stranding méritent une planification rigoureuse : l’ascension d’un versant de montagne, d’un pic enneigé, d’un fleuve, d’un désert ou d’une forêt. La conception de l’interface est complexe et peu intuitive en début de partie. Il vous faudra quelques heures pour en comprendre toutes les subtilités. Les prothèses, les véhicules, les abris, les échelles et autres outils peuvent être fabriqués dans les terminaux, mais seulement si ces derniers sont connectés au réseau chiral. Le réseau chiral est, dans l’univers de Death Stranding, l’équivalent d’Internet. Votre principale mission, au-delà des livraisons, est avant tout de connecter chaque abri à ce fameux réseau. C’est grâce à ce dernier que les réfugiés que vous rencontrerez partageront, au fil de vos livraisons, leurs ressources et leurs connaissances. Le terminal fait la liaison entre vous et ces réfugiés.
Ils apparaîtront sous la forme d’hologrammes devant vous pour communiquer, mais à aucun moment vous ne rencontrerez de PNJ (personnages non joueurs), à l’exception de deux pèlerins sans but. Cette sensation de solitude crée des dialogues anecdotiques rappelant les communications radio de Metal Gear. Super pour les fans, mais à quel prix pour les autres ? Des PNJ en mission de livraison ou en détresse auraient été souhaitables, ne serait-ce qu’aux abords des abris. C’est à se demander si le problème ne vient pas d’une limitation en ressources. Même scénaristiquement, lorsqu’un PNJ est censé vous accompagner, ce dernier se confond avec une marchandise afin de pouvoir être transporté, tournant certains passages épiques en scènes presque ridicules.
D’autres joueurs connectés au titre peuvent vous laisser des messages, des objets et des structures pour vous aider dans vos missions. Cet échange interconnecté pourrait être révolutionnaire en permettant aux joueurs de façonner leur monde, mais celui-ci n’est qu’éphémère. Avec le temps, les créations laissées pour les autres joueurs et les messages se détruisent, demandant ainsi aux joueurs de recommencer leurs actions. Cette volonté créative est freinée par le peu de zones exploitables pour le joueur. Les structures comme les routes peuvent être créées à un seul endroit. Le manque d’espace impose de construire les mêmes structures qui pourront s’emboîter, comme des générateurs ou des casiers. Finalement, les décors que les joueurs créent se ressemblent, et on aurait aimé plus de diversité.
Évoquées précédemment, Death Stranding accueille aussi des phases de tir, mais ces échanges sont vite oubliables. Le problème vient d’une IA déplorable qui se contente de tirer à vue ou de tourner autour de vous. Sans aucune réflexion, bête et méchante, les combats manquent d’intérêt réel. Lors d’un chapitre de Death Stranding, les balles seront remplacées par le sang de Sam, infligeant ainsi des dégâts à votre personnage à chaque tir. Bien que l’on saisisse la réflexion autour de la violence des armes, celle-ci est annulée par l’afflux démesuré d’aides, comme des poches de sang, qui nous encouragent à continuer.
Comme dans tout bon jeu d’action, Death Stranding a aussi droit à ses boss. Nous ne vous dévoilerons volontairement pas leur nature, mais les scènes proposées sont impressionnantes, bien qu’elles manquent cruellement de difficulté pour être pleinement savourées.
Quant aux livraisons, il est difficile à admettre, mais bien que la mise en scène puisse être critiquée, tout est réussi. Les missions de livraison sont très satisfaisantes et entraînent même une légère addiction. Le concept est certes épuré et redondant, mais étonnamment suffisant. Nous nous baladons simplement d’un point A à un point B, mais comme dirait l’autre : « L’important n’est pas la destination, mais le voyage » — à méditer.
Et en parlant de méditation, tous les points de gameplay évoqués sont peut-être, aux yeux des joueurs hardcore, des défauts. Mais le joueur fan d’expériences peut entrevoir ici plusieurs pistes de réflexion. Est-ce que les quêtes FedEx imposées ne sont pas le reflet de nombreuses missions dans le jeu vidéo ? Est-ce que les tirs que j’inflige à mes adversaires, le simple fait de porter une arme, ne devraient pas m’impacter, même s’il s’agit d’ennemis ? L’objectif de secourir la femme en détresse n’est-il pas le but universel de nombreux jeux ? Si l’on place Death Stranding plus comme une expérience d’interrogation que comme un titre brut, alors le spectateur peut se délecter de plusieurs pistes qui méritent réflexion dans le jeu vidéo.
Notons toutefois que Death Stranding nous prend beaucoup par la main, et ce, jusqu’à la fin du titre.
Un univers qui fait couler beaucoup d’encre
Les graphismes de Death Stranding sont très satisfaisants. Les modèles des acteurs sont fidèles. On regrette cependant le manque de diversité des environnements, ce qui limite l’appréciation de leurs représentations.
Les décors et le level design sont bien pensés, mettant à l’épreuve le joueur dans différents paysages bien retranscrits : la neige, le désert, les plaines, les villes dévastées…
Le titre d’Hideo Kojima respire une empreinte esthétique particulière que l’on remarque instantanément lorsqu’on en est face, grâce à son univers visuel atypique. Les éléments liés à la mort sont imbibés de couleurs sombres, accompagnés de vide, mais remplis de corps errants, comme dans un océan. Le monde des vivants est, lui, montré coloré et en abondance. Malgré l’absence d’êtres vivants — qu’ils soient humains, insectes ou animaux — la végétation est presque luxuriante. La nature a recouvert les terres de formes et de mouvements grâce à ses cours d’eau et au vent. Les menottes, censées être un objet de restriction, nous ouvrent les liens du monde chiral. Les cordons ombilicaux, synonymes de vie, sont liés au décès ; les bébés nous sont montrés uniquement comme des outils. Les éléments sont exposés d’une manière détournée, perturbant ainsi le rapport que nous avons avec un monde que l’on croit connaître.
Mais il y a bien quelques éléments qui nous sont familiers. Les mécaniques de repérage d’ennemis, les combats, le slow motion semblent être tirés des derniers Metal Gear. Copiant à l’identique ce style, Hideo Kojima ne s’est pas gêné pour implanter ses anciennes créations (il est même possible de revoir les bâtiments tirés de la démo P.T.), ce qui peut être critiquable pour une nouvelle licence.
Les musiques de Death Stranding accompagnent bien le titre. Elles sont la plupart du temps plus présentes en infiltration, en combat ou en cinématique. Durant nos escapades, la musique est presque absente, laissant le joueur apprécier l’ambiance de ses décors. Le sound design retranscrit à merveille chaque mouvement et impact de Sam avec son environnement, immergeant le joueur au cœur du jeu.
Les points positifs
| Les points négatifs
|
Le gameplay de Death Stranding est un pari osé. Il rassemble gunfight, infiltration et survival-horror dans un même titre. Les missions sont non linéaires et peuvent être appréciées selon le bon vouloir du joueur. Le vrai reproche que l’on peut faire, c’est que Death Stranding relève parfois plus de la contemplation que de l’amusement.
Nous connaissons l’amour qu’Hideo Kojima porte au cinéma, mais le jeu en transpire peut-être un peu trop. On a la drôle de sensation de parcourir deux œuvres complètes, mais complètement distinctes : une bonne série de science-fiction entremêlée de quelques entractes de jeu entre chaque épisode. Bien que les deux semblent maîtrisés, ils semblent ne pas coller ensemble. Death Stranding semble satisfaire nos pulsions de joueurs avec un gameplay qui fait office de prétexte pour suivre les aventures de Sam Porter Bridges.
Poussant à la réflexion sur le support du jeu vidéo lui-même, les enjeux de certaines phases de jeu frôlent parfois le ridicule (likes, missions de livraison humaines…). Elles ne semblent pas concorder avec les enjeux sérieux et philosophiques de l’histoire. Un jeu réservé à un public averti, amateur d’expériences vidéoludiques et de fiction plus que de challenge.
13/20
Fan de jeux Nintendo, Xbox, PlayStation, PC et de l’univers gaming
Je vous partage ma passion à travers mes articles sur les nouveautés jeux vidéo
Journaliste gameactuality.com